Uni·es contre les inégalités, nous refusons la course à l’extrême droite
Les extrêmes droites, dont la progression se poursuit plus que jamais, exploitent les mécontentements, les ressentiments, les colères. Colères souvent légitimes face à la dégradation du tissu social, à l’arrogance de pouvoirs oligarchiques, et à tant de renoncements face aux injustices sociales et environnementales, au rythme et aux effets du changement climatique et à l’affaiblissement accéléré des services publics.
Mais les extrêmes droites entretiennent ce ressentiment en désignant des boucs émissaires. Car elles ont besoin que le malheur s’étende : elles en vivent, elles s’en nourrissent. Il leur faut toujours plus de divisions, de fragmentation de la société, de repli sur un passé largement mythifié et une identité nationale fantasmée, d’enfermement dans les murs et les centres de rétention, de frontières barbelées, de rejet de l’autre.
Or plus on divise, plus on affaiblit. Plus on dresse les travailleurs contre les chômeurs vilipendés comme « assistés », les agriculteurs contre les défenseurs du climat, les Français contre les étrangers, les centres ville contre les banlieues, les « Parisiens » contre « la terre qui ne ment pas », les « vieux » contre les « jeunes », et plus on aggrave injustices, inégalités, préjugés et discriminations. Et au bout du compte tous et toutes y perdent… sauf les nostalgiques d’un pouvoir autoritaire derrière qui toute la société marcherait au pas.
La propagande de l’extrême droite et de celles et ceux qui courent après elle, masque le monde réel. Depuis des décennies, ce qui menace la démocratie et le vivre ensemble, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, c’est le recul massif de l’égalité, des solidarités, de l’accès aux droits et de la protection des plus fragiles. C’est le culte du tout marchand, du tout privé, du tout payant, avec toujours plus de personnes, de groupes sociaux et de territoires précarisés, abandonnés, voire méprisés.
Ce ne sont pas les personnes étrangères qui ont fait exploser inégalités et discriminations. Ce ne sont pas les écologistes qui ont ruiné tant de paysans endettés et pressurés par les industries agro-alimentaires. Ce ne sont pas les « jeunes des quartiers » qui ont construit, abandonné puis laissé se dégrader les quartiers populaires où se concentrent depuis si longtemps misère, chômage et précarité. Ce ne sont pas les militants syndicaux qui ont fermé les usines ou dégradé les services publics.
De tout cela bien sûr, l’extrême droite ne dit rien. Mais nous — associations, syndicats, acteurs et actrices de la solidarité, citoyennes et citoyens engagés dans la société civile —, nous disons aujourd’hui qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux. Car le danger grandit, aux portes d’un avenir proche : le danger que triomphent la haine de l’Autre, le repli identitaire, le racisme, l’affrontement de tous contre tous. Que deviendrait alors la démocratie même ?
Oui, il est grand temps de réagir. Nous n’acceptons pas que se poursuivent le saccage de la santé publique — entre « déserts médicaux » et détresse hospitalière —, le séparatisme scolaire des riches et les études de plus en plus chères, les logements de moins en moins abordables pour le plus grand nombre, les services publics qui reculent, les territoires qui vivent la déprise, et leurs habitantes et habitants abandonnés au « chacun pour soi », à la précarité et à l’insécurité sociale.
Croit-on que les explosions de colère qui se succèdent sans cesse — « gilets jaunes », révoltes dans les quartiers populaires, colères des agriculteurs — arrivent par hasard ? Les mauvais coups portés aux retraites, au logement social, à l’agriculture paysanne et maintenant aux allocations chômage profitent aux semeurs de haine, aux entrepreneurs de ressentiment identitaire. Le terreau sur lequel poussent les démagogues de l’extrême droite, c’est l’amertume que provoquent toutes ces régressions malgré des mobilisations souvent très importantes, c’est le sentiment d’une vie toujours plus difficile et précaire.
Peut-on continuer longtemps à perdre nos libertés, nos droits, notre espoir d’un avenir meilleur ? Nous savons bien que non. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui font vivre et qui inventent aussi, sur le terrain et dans les partages du quotidien, les solidarités, les coopérations et les mises en commun porteuses de cet avenir meilleur. Ce qui manque pour que toutes ces énergies et ces engagements brisent le cercle vicieux de l’extrême droitisation, c’est une mise en commun visible qui respecte leur diversité tout en conjuguant leurs forces.
C’est pourquoi nous, organisations au cœur de la société civile, avons décidé de proposer aujourd’hui, face à l’extrême droite et aux porteurs de haines, d’injustices et de discriminations, une mobilisation forte et durable contre les inégalités sociales et territoriales. Parce que là sont les vrais enjeux. Parce que là se joue, à court comme à long termes, l’avenir de nos sociétés et de la démocratie.
Et surtout parce que nous portons dans nos engagements, dans nos actions quotidiennes, la conviction que c’est le rassemblement de tous ceux et celles qui veulent plus d’égalité, de solidarité, de justice sociale et fiscale et de respect de toutes et tous qui peut faire reculer le risque du pire et nous redonner espoir dans l’avenir. C’est urgent, c’est nécessaire et c’est possible.
Nous appelons dès aujourd’hui les organisations et les citoyen·nes qui partagent nos préoccupations et nos valeurs à nous rejoindre. Nous appelons les femmes et hommes politiques qui se considèrent réellement comme démocrates, républicains et humanistes — quelle que soit leur couleur politique — à ne jamais céder aux idées mortifères de l’extrême droite et à s’engager d’urgence et sincèrement dans la lutte contre les inégalités, la crise climatique et la reconstitution de notre tissu social. Nous appelons les citoyennes et citoyens à ne pas se résigner : ne pas choisir l’extrême droite pour exprimer sa colère, ne pas renoncer à voter pour désigner des responsables qui seront enfin à la hauteur des défis de notre temps, que ce soit aux niveaux local, national, ou dès le 9 juin au niveau européen.
Tribune publiée dans Libération
Premiers signataires
Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT (Confédération générale du travail) ; Lucie Bozonnet, secrétaire générale du MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne) ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ; Hania Hamidi, secrétaire générale de l’Unef ; Benoît Hamon, directeur général de Singa ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Mohamed Mechmache, président de la coordination Pas sans Nous ; Laure Niclot, présidente des Jeunes Européens – France ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU (Fédération syndicale unitaire) ; Arnaud Tiercelin, co-président du Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire) ; Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France
Autres signataires
Raymonde Baron, co-présidente d’UAVJ (Une autre voix juive) ; Faycal Ben Abdallah, président de la FTCR (Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives) ; Agnès Briançon-Marjollet, première secrétaire générale du SNJ (Syndicat national des journalistes) ; Gaspard Buzare, secrétaire général du MNL (Mouvement national lycéen) ; Rodrique Carbonnel, délégué général de la Fédération des Aroéven (Foeven, Fédération des œuvres éducatives et de vacances de l’Éducation nationale) ; Michèle Cauletin, co-présidente d’Habitat participatif France ; Mouhieddine Cherbib, président du CRLDHT (Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie) ; Antoine Chuzeville, premier secrétaire général du SNJ (Syndicat national des journalistes) ; Jean-Baptiste Clerico, directeur général des Cemea (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active) ; Fabien Cohen, secrétaire général de Fal (France Amérique latine) ; Martine Déotte, présidente des Amoureux au ban public ; Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU (Fédération syndicale unitaire) ; Sarah Durocher, présidente du Planning familial ; Nacer El Idrissi, président de l’ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France) ; Noura Elouardi, coordinatrice exécutive du Crid (Centre de recherche et d’information pour le développement) ; Jean-Marie Fardeau, délégué national de Vox Public ; Tatiana Formet, représentante légale de Peuple et Culture ; Souad Frikech, déléguée générale de l’Association des Marocains de France ; Khaled Gaïji, président des Amis de la Terre ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Christophe Gaydier, président d’Animafac ; Karl Ghazi, co-président de la Fondation Copernic ; Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires ; Anne-Marie Harster, présidente de Solidarité Laïque ; Pierre Henry, président de France Fraternités ; Patricia Hyvernat, présidente de Patron.nes Solidaires ; Kadalanga, Extinction Rébellion France ; Judith Krivine, présidente du Saf (Syndicat des avocats de France) ; Gilliane Le Gallic, présidente d’Alofa Tuvalu ; Anaïs Leweurs, coordinatrice asile et domiciliation de Dom’Asile ; Hélène Lacassagne, présidente de la Ligue de l’enseignement ; Pascal Lederer, co-animateur de l’UJRE (Union des Juifs pour la résistance et l’entraide) ; Jacques Lewkowicz, co-président d’UAVJ (Une autre voix juive) ; Yann Manzi, délégué général d’Utopia 56 ; Pierre-Charles Marais, co-président d’Habitat participatif France ; Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne ; Florentin Martorell, Secrétaire général de la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne) ; Henry Masson, président de la Cimade ; Ümit Metin, coordinateur général de l’Acort (Assemblée citoyenne des originaires de Turquie) ; Gilbert Mitterrand, président de la Fondation Danielle Mitterrand – France Libertés : Michel Morzière, président d’honneur de Revivre ; Agathe Nadimi, présidente des Midis du MIE ; Maëlle Nizan, présidente de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) ; Pauline Oderkerken, secrétaire des Enseignant.es pour la planète ; Silène Parisse, porte-parole d’Alternatiba ; Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme ; Suzel Prio, animatrice de Roya citoyenne ; Isabelle Réghi, présidente de l’AFJD (Association française des juristes démocrates) ; Kim Reuflet, présidente du SM (Syndicat de la Magistrature) ; Camila Rios Armas, co-fondatrice et directrice d’UniR (Universités & Réfugié.e.s) ; Christophe Robert, délégué général de la Fap (Fondation Abbé Pierre) ; Gilles Rouby, président du Cac (Collectif des associations citoyennes) ; Sophie Roques, présidente d’Homosexualités et Socialismes (HES LGBTI+) ; Maeva Rougé, coordinatrice fédérale du MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) ; Michel Rousseau, co-président de Tous migrants ; Claude Sarcey, co-président d’UAVJ (Une autre voix juive) ; Eléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante ; Pierre Segura, président de la Fédération nationale des Francas ; Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Antoine Sueur, président d’Emmaüs France ; Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous ; Gwenn Thomas-Alves, président de l’Union syndicale lycéenne ; Tarik Touahria, président de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France ; Anne-Sophie Trujillo-Gauchez, porte-parole d’ANV-COP 21 (Action non-violente COP21) ; Thomas Valle, coordonateur général de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) ; Marie-Pierre Vieu, co-présidente de la Fondation Copernic